De son vrai nom Andrée Madeleine Gerbillat, Andrée Madeleine Blouin, née le 16 décembre 1921 en Oubangui-Chari et décédée le 9 avril 1986 à Paris, fut une militante politique, défenseure des droits de l’Homme et écrivaine de la République centrafricaine.
Fille de Joséphine Wouassimba, une femme Banziri, et de Pierre Gerbillat, homme d’affaires et aventurier français, La jeune métisse sera vite enlevée à sa mère et placée à l’orphelinat des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny pour filles métisses, où elle subit négligence et maltraitance. À 15 ans, les religieuses tentent de l’obliger à accepter un mariage arrangé. Après 14 ans au sein de l’orphelinat, elle s’enfuit en 1938 avec deux autres filles. C’est le début d’une vie hors-pair, une lutte acharnée et une histoire risquée.
Un siècle après sa naissance, nous commémorons à ce jour une femme de fer, mais surtout une brave héroïne, longtemps restée sous le couvert de l’anonymat, qui servit avec abnégation l’Afrique qu’elle aima tant et qu’elle prit pour son pays.
Blouin, Femme dans l’action collective
L’exploration de la vie d’Andrée Blouin, à travers son autobiographie rédigée en collaboration avec l’écrivaine Jean Scott MacKellar, My country Africa : autobiography of the Black Pasionaria, publiée en 1983, nous permet de revenir sur le statut difficile des métisses, des « ménagères », et d’exposer les préjugés raciaux et sexistes de la société coloniale.
Souvent accusée d’avoir une sexualité débridée, notamment avec les hommes puissants qu’elle a côtoyés (comme Sékou Touré et surtout Patrice Emery Lumumba), « la courtisane de tous les chefs d’État africains », vue comme un « agent du communisme », une « prostituée déguisée », ou la « Madame du Barry du Congo », Andrée Blouin a été peu à peu réhabilitée.
En effet, elle fut une oratrice de talent et la « plume » de nombreux discours prononcés par les hommes politiques qu’elle a côtoyés. Son éveil politique est lié à la mort de son fils René et à son implication pour la campagne du « non » au référendum de 1958 en Guinée.
Arrivée au Congo dans le premier quart de l’année 1960, de suite de l’invitation lui lancée par Antoine Gizenga, elle reçut la mission de mobiliser les femmes par le biais de la plate-forme du Mouvement féminin pour la solidarité africaine, entre les coutumes traditionnelles et l’éducation des missions.
Et aujourd’hui comme hier, son pays, l’Afrique.
L’Afrique, le pays d’Andrée Blouin, a aussi eu ses féministes et elle ne le doit pas à l’Occident. C’est ce travail de reconnaissance que doivent mener tous les africains pour sortir, de l’ombre, ses pionnières, longtemps méconnues malgré leur apport essentiel aux luttes anticoloniales.
Comme on lirait dans le quotidien Le Monde du 7 novembre 2021 dernier, Il y a urgence à écrire une historiographie féministe africaine qui s’intéresse aux « silenciées » de l’Histoire et pas seulement à l’histoire des puissants, hommes et femmes. L’histoire des résistances, des avancées africaines est aussi celle des femmes plus ordinaires. C’est ce féminisme par le bas qu’il faut révéler et raconter. Tout comme il est urgent de décloisonner les savoirs et d’apprendre des pratiques et pensées des féministes qui agissent sur le terrain.
Andrée Blouin, Centre Culturel Andrée Blouin et continuation de la lutte
Pour pérenniser le noble engagement d’Andrée Blouin en faveur de peuples africains en général et congolais en particulier, un cadre d’expression, de rencontre et de travail a été créé en avril 2019, à Kinshasa, immortalisant ainsi son nom.
Le Centre Culturel Andrée Blouin forme la jeunesse congolaise au panafricanisme, au leadership transformationnel et à la mobilisation des masses. Des valeurs portées par Andrée Blouin elle-même et qui, aujourd’hui, lui valent le droit d’être citée parmi les hauts hérauts déchus du panafricanisme. A eux, vénération et honneur.
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Pascal Manyi Muteba
15 décembre 2021